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15.12.2022

Production agricole en Bolivie : un terrain miné

Coopérante en Bolivie, Marisol Hofmann a récemment proposé un blog traitant de la consommation de produits traités aux pesticides et d’un projet de potager scolaire pour sensibiliser les jeunes et leur famille à la protection de leur santé et de l’environnement. Elle le complète par une interview de Mercedes Nostas Ardaya, chercheuse en sciences sociales. Celle-ci revient sur une de ses études qui montrait en 2018 déjà des taux de mortalité élevés enregistrés dans certaines communautés agricoles, et en tire 4 constats alarmants, hélas toujours d’actualité.

Mercedes Nostas Ardaya aux côtés d'une leader indigène

Mercedes Nostas Ardaya est professeure et chercheuse au sein de la Direction d’Investigation scientifique et de l'Innovation Technologique, de l’Université Autonome Gabriel René Moreno, à Santa Cruz de la Sierra. Elle s’est formée en sciences sociales, principalement en anthropologie et sociologie, auprès d’universités internationales de renom, dont celle de Brasilia, de Cambridge et l’University College de Londres. En 2017, l'Institut de recherche de la Faculté des sciences Humaines (INIF) dont elle était alors directrice, s’est allié au Grupo de Trabajo Cambio Climático y Justicia (GTCCJ) afin de mener une enquête sur l’usage des pesticides dans quatre communes du département de Santa Cruz.

Qu’est-ce qui vous a amenée à vous engager en faveur de la protection de l’environnement ? 

Mercedes Nostas Ardaya : En plus de mes études en anthropologie environnementale, je dirais que j'ai consolidé mes convictions lorsque j'ai commencé à travailler à CORDECRUZ (alors Société de développement du département de Santa Cruz) dans la planification territoriale. J'étais responsable du domaine social des diagnostics ruraux intégraux et du plan d'occupation des sols au sein d'équipes interdisciplinaires, composées d'économistes, de géologues, ainsi que d'agronomes et d'ingénieurs forestiers. Notre mission consistait à réaliser des diagnostics participatifs avec les communautés indigènes et paysannes afin d'intégrer leurs demandes et leurs perceptions dans les plans de développement rural. Ayant à parcourir tout le territoire de Santa Cruz, nous avons été témoins de la situation de marginalisation des peuples autochtones, des communautés et des villes rurales intermédiaires. De même, nous avons observé les dommages causés dans les zones protégées et l'exploitation irrationnelle des ressources naturelles. Le contact direct avec les communautés et surtout avec les leaders des peuples autochtones m'a également permis de découvrir une nouvelle perspective de gestion territoriale que je considère comme innovante.

Qu’entendez-vous par là ?

Mercedes Nostas Ardaya Il s'agit d'une approche territoriale intégrale, qui considère les ressources naturelles et l'environnement en général comme des entités à respecter. C'est notamment le cas des peuples Guarayu, Guarani, Ayoreo ou Chiquitano. Pour moi, il était donc important de prendre en compte leurs valeurs, pratiques, connaissances et approches dans les plans de gestion territoriale. C'est alors que j'ai renforcé ma position en tant qu'activiste du mouvement écologiste et indigène en rejoignant des groupes environnementaux régionaux et la Centrale des Peuples Indigènes de l'Orient Bolivien.

«J'ai été surprise par les taux de mortalité élevés enregistrés dans certaines communautés agricoles.

Vous avez pu constater, à cette époque déjà, la situation préoccupante en lien avec l’utilisation excessive de pesticides ?

Mercedes Nostas Ardaya En effet, j'ai été surprise par les taux de mortalité élevés enregistrés dans certaines communautés agricoles des vallées mésothermiques. J'ai alors constaté que des pesticides hautement toxiques y étaient utilisés, malgré leur interdiction. J'ai porté ce problème à l'attention de CORDECRUZ et l'ai encouragé à mener une enquête. Les études réalisées ont motivé une réglementation légale départementale pour l'utilisation des pesticides, qui a malheureusement eu peu d'impact.

Vous avez d’ailleurs accepté, en 2017, de soutenir le GTCCJ pour mener une enquête similaire, dans quatre communes du département ?

Mercedes Nostas Ardaya : C’est exact. C’est à travers une ancienne collègue de travail, Ana Rosa Angulo, également chercheuse, que j’ai fait la connaissance d’Adriana Montero, directrice de l’INCADE et à l’époque coordinatrice du GTCCJ. Ensemble, nous avons dessiné les contours de l’enquête que nous avons divisée en deux phases de recherche, avec la participation d'enseignants, d'étudiants, de techniciens et d'ONGs. La première se veut un diagnostic représentatif de la situation dans quatre communes aux caractéristiques différentes (écosystème, type de population, région) dans une approche à la fois sociale et anthropologique mais aussi écologique et agronomique. La réalisation de ce genre d’enquêtes est délicate, en Bolivie.

Quels sont les principaux constats qui sont ressortis de la première, publiée en 2018 ?

Mercedes Nostas Ardaya Il y a quatre aspects fondamentaux. Le premier est que l’utilisation de pesticides dans le département est largement répandue avec des spécificités qui diffèrent d’une région à l’autre pour ce qui est du type de produit utilisé. Le deuxième constat est que parmi les pesticides utilisés enregistrés, 8 sont interdits. La troisième conclusion est que l'utilisation et la gestion des produits agrochimiques ne se font pas de manière adéquate et cela pose problème aussi bien pour ceux qui les manipulent, que pour leurs familles indirectement exposées. Enfin, l’enquête met en lumière des questions non résolues à approfondir comme le mode de fonctionnement du marché des pesticides ou la perception qu’ont les agriculteurs de ces derniers et de leur impact sur la santé. Il est en outre nécessaire d'investiguer sur l’application des législations nationale et départementale sur la gestion des pesticides. 

Qu’est-il attendu de la seconde enquête ?

Mercedes Nostas Ardaya Nous voulons connaître l'étendue des éventuels dommages causés par l'utilisation de produits agrochimiques en détectant la présence d'agents neurotoxiques dans le sang et l'urine tels que les organophosphorés ou les organochlorés. Des échantillons ont été prélevés auprès d'adultes manipulant des pesticides et de membres de leur famille indirectement exposés, dans les mêmes communautés que lors de la première phase. En outre, nous avons pu obtenir un financement pour mener la même enquête auprès des enfants des familles concernées. Il faut savoir que la réalisation de ce type d'enquête est très délicate face à une réticence de la part des autorités politiques et des lobbies économiques à traiter la question de manière honnête.

Qu’en est-il de la conjoncture actuelle ?

Mercedes Nostas Ardaya La situation actuelle est plus complexe que la précédente, étant donné le traitement controversé de la question des transgéniques et des biotechnologies, au sein de l'université elle-même. Il est bien connu que ces derniers sont gourmands en pesticides. En outre, il existe une tendance explicite de la part des associations de producteurs, des entreprises agroalimentaires et de l'État à promouvoir un développement fondé sur l'expansion de la frontière agricole et l'utilisation d'OGM, dans une perspective de souveraineté alimentaire. Nous avançons en terrain miné. Il reste toutefois essentiel de poursuivre ce type de recherche afin de fournir des données qui consolident le contrôle citoyen et qui puissent être utilisées pour la refonte des politiques publiques. Nous devons également promouvoir des modèles alternatifs de production et de consommation alimentaire pour le bien de notre santé et de l'environnement.

Marisol Hofmann

 

Découvrez la page personnelle de Marisol Hofmann, et son engagement pour un projet qui vise à renforcer la sensibilisation environnementale à Santa Cruz de la Sierra, en Bolivie.   
 

 Projet de Marisol Hofmann

 

Du potager à l'assiette

 

Complément à l'article paru dans le magazine Horizons de novembre 2022, sous le titre "Régime sans poison", retrouvez le blog de Marisol, et ses rencontres en vidéo avec la jeune Lisbeth, 17 ans, et Adriana Montero, initiatrice du projet de potagers scolaires. 

 

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