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01.02.2023 | Pérou, Droits humains et démocratie

Pollution, maladies et manque de responsabilité

Pour l'État, le plateau aride situé à environ cinq heures de route de Cusco, avec ses énormes gisements de cuivre, est une machine à gagner de l'argent. Mais pour quelque 60’000 habitant·e·s, c'est leur terre et leur espace vital. Journaliste et coopérant Comundo, je témoigne ici de comment il est peu à peu sacrifié sur l’autel du profit des multinationales, dans l'une des provinces les plus pauvres du Pérou.

Les sources d'eau polluées empoisonnent personnes et animaux (Photo: Jacob-Balzani-Lööv)

« Regardez mon fils, il a 21 ans. Pourtant il vit encore comme un enfant, il ne sait et peut rien faire. Je dois le laver, cuisiner pour lui, le nourrir, laver ses vêtements, ranger ses affaires. Il est toujours avec moi, il ne me laisse jamais seule. C’est triste, mais c'est comme ça que mon fils est ». Lorsque Cristina Choque parle de son fils unique Fran, elle est au bord des larmes. Fran suit sa mère comme une ombre et nous jette un regard timide par dessous son chapeau de feutre blanc.

Pour Cristina Choque, il est clair que les sources d'eau polluées ont contribué au handicap de son fils.
Pour Cristina Choque, il est clair que les sources d'eau polluées ont contribué au handicap de son fils.

Cristina, 64 ans, vit avec Fran dans une ferme de la municipalité de Ccocareta, à cinq heures de route au sud de Cusco, dans la province d'Espinar. Il s'agit d'un grand plateau avec des collines ondulées à environ 4 000 mètres d'altitude. C'est l'une des provinces les plus pauvres du Pérou, même si l'on y extrait du cuivre depuis 40 ans. La plupart des 60’000 habitant·e·s sont pourtant de fiers K'ana, une population indigène de langue quechua qui a formé sa propre civilisation avant d'être intégrée à l'empire inca.

Sur ce plateau aride vivent principalement des peuples indigènes.
Sur ce plateau aride vivent principalement des peuples indigènes.

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La plus importante source de vie a été empoisonnée

Nous nous rendons au ruisseau qui coule à côté de sa ferme. Avant il y avait beaucoup plus d'eau, me dit Cristina, ajoutant qu’il était clair et abritait des poissons et des grenouilles. Quand elle était enceinte de Fran, elle buvait tous les jours de cette eau. « Je ne savais pas que l'eau était polluée », regrette-t-elle. Car aujourd'hui, elle soupçonne que Fran est handicapé à cause de cela. Des niveaux très élevés de métaux lourds ont en effet été détectés dans son sang.

A quelques kilomètres en amont se trouvent les excavations à ciel ouvert de la mine Tintaya, transformées en un immense bassin de rétention. L'ancienne mine publique, qui a commencé à produire dans les années 1980, a été rachetée par Xstrata en 2006 et appartient depuis 2014 à la multinationale suisse des matières premières Glencore. En parallèle, le cuivre est désormais aussi exploité quelques kilomètres plus au nord, dans une nouvelle mine à ciel ouvert appelée Antapaccay.

Poissons et grenouilles s'ébattaient autrefois dans ce cours d'eau...
Poissons et grenouilles s'ébattaient autrefois dans ce cours d'eau...
...qui coule aujourd'hui dans la zone située en amont de la société minière.
...qui coule aujourd'hui dans la zone située en amont de la société minière.

De nombreux enfants en situation de handicap

« Je suis inquiète : qui s'occupera de mon fils à ma mort ? Je suis malade et je n’ai nulle part où l'emmener. Je ne peux rien faire pour lui. Cet enfant a besoin de fruits, de nourriture saine, de médicaments. Mais nous avons de moins en moins de bétail et je ne sais pas où trouver l'argent pour tout cela. »

Fran est intellectuellement très limité, il peut à peine parler et encore moins lire et écrire. Un médecin a aussi diagnostiqué que ses reins sont trop petits, sans investiguer de manière plus précise. Alors Cristina reste seule à s'occuper de lui, sans aucun soutien financier. Car dans toute la province d’Espinar, il n'y a aucune institution qui puisse accueillir des personnes en situation de handicap comme Fran.

Des 150 moutons d'antan, il n’en reste qu’une trentaine à Francisco.
Des 150 moutons d'antan, il n’en reste qu’une trentaine à Francisco.

La plupart des maisons de terre voisines de la ferme de Cristina sont abandonnées ou à moitié détruites. De nombreux enfants sont nés handicapés à Ccocareta, poursuit Cristina. Depuis, ils ont déménagé avec leurs familles. Seules les personnes âgées restent encore sur ces terres, même si elles sont de moins en moins nombreuses, car beaucoup sont morts d’un cancer. « Ma voisine vient de se plaindre qu'elle ne se sent pas bien, je me fais du souci pour elle. Comme pour moi : je ne sais pas combien de temps nous pouvons encore tenir ici et je n'ai nulle part ailleurs où aller. »

 

Francisco Merma résiste encore. À 72 ans il possède un troupeau de moutons et est également pasteur évangélique, il possède sa propre petite église où il prêche le dimanche. Il s’emploie à maintenir la cohésion de la communauté, s'occupe des faibles et des malades, et fait pression sur les autorités et la compagnie minière pour que le village soit approvisionné en eau et en électricité. 

« Ici, nous avions une vie tranquille, avec beaucoup d'animaux et une rivière propre. La mine ne nous a apporté que pauvreté, pollution et conflits », dit-il. Avant il avait 150 moutons et 30 vaches, de quoi mener une belle vie. Également, il cultivait des pommes de terre et du quinoa. Aujourd'hui, dit-il, l'eau suffit à peine pour les 30 moutons qu'il lui reste. « Il ne faut pas toucher à l'eau du ruisseau, elle provoque des rougeurs. Les animaux tombent malades quand ils la boivent ». Et Francisco lui-même présente des niveaux très élevés de métaux lourds. 

L'eau que Francisco utilise provient principalement d’un toit en tôle qui canalise l'eau de pluie dans un grand réservoir en plastique. Pour les animaux, il y a un point d'eau derrière la colline, mais il ne suffit que par moments. Bien que la société minière ait posé le raccordement à l'eau dans les maisons de Ccocareta il y a quelques années, généralement rien ne sort du robinet. Francisco obtient son électricité grâce à un panneau solaire que ses enfants lui ont offert. Quant au reste du village il n'est pas encore relié au réseau électrique, quand bien même la centrale de la mine n'est située qu'à quelques centaines de mètres de sa maison. 

 

Pollution par les entreprises difficile à prouver

La pollution à l'arsenic et aux métaux lourds à Espinar est connue et bien documentée depuis des années, notamment par une étude récente d'Amnesty International. De nombreux habitants, comme Cristina et Francisco, ont reçu les résultats de leurs analyses sanguines et savent désormais qu'ils ont de l'arsenic, du plomb, du mercure et du cadmium en quantité excessive dans le sang et que leurs sources d'eau sont polluées. Mais ils ne peuvent rien y faire. La société minière nie que la pollution soit causée par l'exploitation du cuivre. Au lieu de cela, ce serait la "minéralisation naturelle du sol" qui serait responsable. Selon elle, aucune étude ne permet encore de prouver clairement ce lien.

Dans cette région isolée, seule la colonie minière affiche un caractère urbain.
Dans cette région isolée, seule la colonie minière affiche un caractère urbain.

Quitter n'est pas une option, malgré les nouvelles mines

La mine d'Antapaccay sera bientôt épuisée. Une nouvelle expansion est déjà prévue à quelques kilomètres de là, dans une zone appelée Coroccohuayco. Des négociations sont actuellement en cours entre Glencore et les deux communautés de Pacopata et Huini pour l'achat de leurs terres. Les villages disparaîtraient pratiquement tous, et l'entreprise ne veut pas entrer en matière sur une réinstallation collective. Mais les impacts vont bien au-delà encore. La mine est située dans les eaux en amont des deux rivières qui traversent la capitale provinciale Yauri, et une vingtaine d'autres communes.

La persévérance avec laquelle des personnes comme Cristina et Francisco luttent pour obtenir de petites améliorations de leurs conditions de vie dans des circonstances aussi difficiles ne cesse de m'impressionner. Quitter n'est pour eux pas une option, car ils tiennent non seulement à leur vie, mais surtout à leurs proches, à leur famille, à leur communauté et à la terre où ils sont nés. Ils veulent pouvoir vivre une vie digne dans un environnement raisonnablement intact, pouvoir subvenir à leurs besoins avec leurs animaux et leurs champs, et avoir un revenu qui couvre le strict minimum. Dans une région qui crée des richesses incommensurables grâce à ses ressources minérales, il devrait également y avoir de bonnes écoles et de bons hôpitaux, ne serait-ce que par souci d’équité ou de justice sociale.

Des montagnes entières sont victimes des mines à ciel ouvert.
Des montagnes entières sont victimes des mines à ciel ouvert.

Aider concrètement comme coopérant Comundo

La base de notre travail est d'abord de connaître les faits. Une grande partie de mon travail au sein de mon organisation partenaire, CooperAcción, consiste en des recherches et de la documentation. Quels sont les développements dans le secteur minier, quels sont les projets prévus, quels sont les impacts écologiques et sociaux attendus ? Sur cette base, nous fournissons des conseils aux communautés et aux personnes concernées. Et nous menons des actions de formation pour sensibiliser les décideurs et le public. Cela est nécessaire car l'exploitation minière a généralement lieu dans des régions éloignées, où la population est historiquement discriminée. Le racisme à l'égard de la population indigène est un problème fondamental, car ceux qui ne sont pas perçus comme des personnes à part entière par les autorités peuvent difficilement faire valoir leurs droits. 

La pollution par les métaux lourds touche de nombreuses régions du Pérou. Le ministère de la santé estime qu'environ 10 millions de personnes, soit un peu moins d'un tiers de la population, sont touchées. La prise de conscience de ce problème progresse trop lentement. Une coalition nationale de personnes concernées s'est formée pour faire pression sur les autorités et obtenir des améliorations concrètes. Il existe un plan d'action et, depuis peu, un budget pour les études et les traitements spécialisés dans les centres de santé régionaux. Mais la mise en œuvre en est encore à ses débuts. Il leur faudra encore beaucoup de persévérance.

Cette conversation avec Franciso Merma m'a ouvert les yeux.
Cette conversation avec Franciso Merma m'a ouvert les yeux.

De Thomas Niederberger | 1 février 2023 | Pérou

 

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Thomas Niederberger

Anthropologue et journaliste

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Journaliste expérimenté et anthropologue social, Thomas se bat pour les droits humains et l'amélioration des conditions de vie des communautés indigènes défavorisées du Pérou. Avec l'organisation partenaire CooperAcción, il veille à ce que la situation des personnes concernées soit enfin intégrée dans le débat public, grâce à des campagnes de sensibilisation, des actions de lobbying, la mise en place de réseaux et des relations avec les médias. 

 

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